[Elfe] Eldrin

Chapitre 1: L'enfant prodige

La famille Silveril tenait une petite baronnie autour de Odhrilorn depuis des générations. Le seigneur Galean Silveril un an après son mariage eut la joie d’avoir son premier enfant, un garçon, que lui et sa femme Azariah prénommèrent Eldrin.
Les années passèrent et l’enfance d’Eldrin s’écoula paisiblement. Il se révéla être un enfant craintif mais sage et sérieux, qui faisait la fierté de ses parents. Cependant la santé du garçonnet était fragile : il tombait souvent malade, s’essoufflait rapidement et prenait facilement froid. Il était assez petit et chétif pour son âge et son manque de résistance amena son entourage à se plier en quatre pour lui. L’enfant n’avait qu’un mot à dire pour que n’importe lequel de ses souhaits soit exaucé hormis celui qui comptait vraiment : le seul souhait d’Eldrin était de pouvoir un jour partir à l’aventure mais on lui fit rapidement comprendre que ce rêve était vain, sa condition physique ne le lui permettant même pas d’explorer les environs seul. Il n’avait aucun ami, aucun enfant autour de lui avant la naissance de ses sœurs.

Sa première petite sœur, Nyanderen, naquit à l’aube de ses 40 ans. A l’inverse de son frère, cette petite tornade était pleine d’énergie, avait un fort tempérament et aimait mener les gens à la baguette.
C’est à peu près à cet âge que le jeune Eldrin commença à recevoir une véritable éducation digne d’un héritier, plus stricte et avec un emploi du temps chargé. Il apprit la lecture, l’écriture, les calculs, l’escrime, l’équitation, la danse et comme tout Silveril, l’usage de la magie. L’enfant se révéla être un élève brillant et attentif avec un don certain pour la magie du vent. Aisément rompu par les exercices physiques, il passait le plus clair de son temps dans la bibliothèque familiale. Très curieux, il cherchait à étudier le plus de sujets possibles.
Puis vint la naissance de la petite Maiyelle, alors qu’Eldrin atteignait ses 60 ans. Une adorable petite fille qui regardait ses aînés avec des yeux émerveillés. Douce, encore plus craintive que son frère et extrêmement pleurnicharde, elle s’attira rapidement la faveur de la maisonnée en particulier de sa fratrie qui se montrait particulièrement protecteurs envers elle.

Galean Silveril était un elfe raffiné, fier de son héritage et collectionneur d’objets rares. Aussi se rendait-il souvent en ville, dans la boutique réputée des Lothiel. Alors qu’Eldrin était tout juste âgé de 88 ans, il l’amena avec lui pour la première fois.
L’enfant y découvrit une boutique absolument fascinante. Chaque objet se révélait intriguant et la curiosité d’Eldrin prit le dessus étouffant son attitude d’enfant parfait : il étudiait chaque étagère avec grand intérêt oubliant de suivre son père.
C’est dans un coin de la boutique qu’il finit par tomber nez à nez avec une elfe qui lui semblait avoir à peu près son âge. Craintif, il la salua d’une révérence, selon la bienséance, avant de chercher à se cacher. Mais la petite elfe ne l’entendit pas de cette oreille et, visiblement ravie d’avoir un camarade de son âge, saisit le poignet d’Eldrin pour l’amener avec elle dans l’arrière-boutique. Elle lui demanda son aide pour grimper sur le petit établi et y récupéra une petite clé, cachée tout en haut. Elle le remercia et partit en courant dans la partie privée attenante. Eldrin ne put que la regarder s’éloigner de loin, rongé par la curiosité. La fillette revint sur ses pas et saisissant de nouveau son poignet pour l’entrainer à sa suite. Ils entrèrent dans une pièce et se dirigèrent droit vers un coffre qu’elle ouvrit sans attendre. Elle en sortit trois fioles d’un air entendu et referma le coffre. Elle lui expliqua brièvement qu’il s’agissait de denrées rares dont elle avait besoin pour ses expériences.
Eldrin buvait les paroles de la petite elfe aventureuse dont les connaissances semblaient vastes et bien différentes des siennes. Alors qu’elle s’apprêtait à reposer la clé à son emplacement d’origine, les voix de son père et du propriétaire de la boutique se firent entendre, l’amenant à paniquer. Elle glissa la clé dans les mains d’Eldrin et s’en écarta avant qu’ils surgissent. L’homme se tenait avec le baron Silveril qui en voyant son fils avec l’objet lui lança un regard courroucé. Eldrin qui jamais n’avait désobéi se sentait de plus en plus mal et pourtant c’est avec un sang-froid qui le surprit lui-même qu’il expliqua en choisissant soigneusement ses mots la situation, sans dénoncer celle qu’il cherchait à couvrir.
Du mensonge par omission, c’était la première fois qu’il faisait une telle chose et aussi le jour où il découvrit son don. Les adultes l’écoutèrent attentivement et le crurent sans poser plus de questions.
Depuis ce jour et pendant quelques années, il accompagna son père chaque fois qu’il venait à la boutique. Entrainé par la petite Eryndë, il se retrouva à faire des escapades aventureuses, l’aidait dans ses cueillettes, ses préparations de mixtures. L’assurance de la petite elfe le fascinait et une forte amitié se noua entre eux. La fillette lui proposa de lui venir en aide dans sa condition physique. Elle lui offrit un petit sachet d’herbes odorantes qui calmaient ses essoufflements et lui faisait tester différentes potions de vitalité avec plus ou moins d’effets. En gage d’amitié, les enfants s’offrirent mutuellement un cadeau. Eldrin avait fait faire un ravissant pendentif ouvragé en forme de feuille. En retour, elle lui offrit un pendentif qu’elle fabriqua elle-même avec un petit cristal, accroché à une cordelette.

Chapitre 2: Le Filtre du Géant

Un jour, Eryndë avait trouvé une recette particulière dans un très vieux grimoire. La solution à tous ses problèmes lui dit-elle. Il fallut du temps aux deux enfants pour rassembler les ingrédients mais dès que cela fut accompli la petite Ery s’affaira pendant quelques jours jusqu’à lui présenter un liquide sombre et dense, d’un bleu profond avec des reflets argentés, rappelant la puissance contenue d’un orage imminent : le « Filtre du Géant ». Si Eldrin n’avait pas eu une confiance démesurée en son amie, jamais il n’aurait bu une telle chose. Même l’odeur de terre mouillée ou la texture visqueuse auraient dû le dissuader. Mais, il prit la fiole et en but tout le contenu d’une traite. Une grimace vint tordre ses traits et il regarda Eryndë d’un air interrogateur. Il ne sentait rien.

Plusieurs longues minutes passèrent avant que l’enfant ne se fige. Une violente crampe à l’estomac l’amena à se plier en deux. Alors qu’il pensait le contrecoup passé, il s’écroula au sol et se tordit de douleur. Ses hurlements ne tardèrent pas à ameuter tous ceux qui se trouvaient alentours. La dernière image qu’il eut de son amie fut celle d’une fillette au visage inquiet, au bord des larmes, qui se trituraient les mains nerveusement. Son père le ramena en urgence à leur domicile, faisant venir un médecin réputé. Ce qui se passa ensuite chez les Lothiel exactement Eldrin ne le sut jamais.

La souffrance fut sa seule compagne pendant des mois. Il avait chaud, se plaignant que son sang semblait bouillir en lui et de violents maux de crâne le lançaient constamment avec cette impression horrible que sa tête allait exploser. Ses articulations étaient raides et douloureuses et il lui restait tout juste assez de forces pour se nourrir. Tout le monde voyait l’enfant condamné, les médecins se trouvant impuissants face au mal qui le rongeait.

Et pourtant, un jour, la douleur cessa brusquement. Eldrin émergea doucement, étonné lui-même de ne pas sentir cette souffrance devenue familière. Mais en ouvrant les yeux, il poussa un nouveau cri. Sa servante attitrée vint le rejoindre immédiatement et trouva l’enfant en état de panique. Son œil droit ne voyait quasiment plus et même la magie des soigneurs elfiques ne purent le restaurer.

L’enfant découvrit plus tard que la potion ne lui avait pas volé que son œil. Il constata un jour avec effroi que lui, l’enfant prodige des Silveril, se retrouvait incapable de sentir sa magie jadis si prometteuse. Malgré ses nombreuses tentatives, il ne réussit plus jamais à faire le moindre sort. Mais il décida de taire ce fait, s’accrochant vainement à l’espoir qu’elle reviendrait un jour. A l’inverse, sa santé était bien meilleure. Il ne tombait plus malade, devenait plus endurant, plus fort.

Quand il chercha à revoir son amie, son père le lui interdit formellement. Mais Eldrin, devenu têtu au contact d’Eryndë, décida de s’y rendre malgré tout. La jeune elfe avait disparu, sa famille maintenant totalement ruinée. La mésaventure des Silveril avait fait fuir la clientèle et la colère de Galean avait détruit leur réputation. Eldrin en fut dévasté : cette potion en plus de l’avoir rendu amoindri l’avait privé de ce qui était le plus précieux à ses yeux : l’amitié d’Eryndë.

Chapitre 3 : La déchéance

Sa vue altérée changea ses habitudes. Il ne pouvait plus s’enfermer des heures durant dans la bibliothèque, ses yeux fatiguant plus vite. Pour s’approprier ses nouvelles capacités physiques et aussi pour occuper son temps libre, Eldrin commença à s’exercer davantage : Maitriser le tir à l’arc, l’escrime et l’équitation, sans oublier de renforcer son corps. Les années passaient et il devint un guerrier accompli plus grand et à la musculature plus prononcée que les jeunes de son âge, loin du magicien que l’on attendait. Des rumeurs se propageaient sur la puissance cachée de l’héritier des Silveril, le fait qu’il refuse de montrer sa magie pris pour de la modestie. Eldrin fit ses classes militaires et se vit recruter dans la garde de Heine. Parmi les jeunes recrues, il était le favori du Capitaine et tout le monde s’attendait à le voir rapidement promu. Mais il n’était guère apprécié de ses compagnons d’armes : peu bavard, trop sérieux et ne faisant aucun effort pour sociabiliser.

Galean Silveril pendant ce temps préparait ce qui selon lui serait l’apothéose de la vie de son fils. La réputation d’Eldrin ainsi que son physique faisaient jaser à la cour et Galean y vit l’occasion de se faire enfin accepter. En effet, la noblesse de Heine regardait leur petite baronnie de haut et laissait ces « campagnards » bien à l’écart. Mais Galean reçut une proposition d’un vicomte dont la fille aurait succombé au charme de son fils. Sans l’accord de ce dernier, il prépara ses fiançailles et les lui annonça au dernier moment, soit la veille.
Eldrin s’en offusqua mais ne chercha pas à s’y opposer car jamais il n’aurait désobéi à son père. Cependant, il lui avoua que sa magie avait totalement disparu. Galean, très inquiet, lui demanda de garder le secret et lui parla de la réputation qui courrait dans son dos et dont jamais il n’avait entendu parler.


Jeté en pâture à la grande noblesse de Heine, Eldrin se comporta dignement et son charisme ne fit que renforcer l’opinion de tous. Sa fiancée sembla totalement subjuguée et ne le lâchait plus, Galean était aux anges. Plusieurs de ses compagnons d’armes étaient présents et l’un d’eux, qui ne pouvait supporter Eldrin, vint le provoquer pour qu’il montre sa magie. Toute l’assemblée approuva et Eldrin reconnut publiquement et sans sourciller qu’il n’en avait pas. Tout se dégrada à cet instant. Ses compagnons se moquèrent de lui, sa fiancée s’en éloignait dégoûtée, geignant qu’elle ne voulait plus se marier avec lui. Le mépris qu’éprouvait la haute noblesse pour ces nobles de campagne se renforça. Ils furent chassés de la soirée et leur réputation fut ternie.

Au sein de la garde, ses compagnons nobles ne firent qu’afficher chaque jour davantage leur mépris, les promesses de promotion envolées. Ils lui rappelaient sans cesse qu’il a voulu s’élever trop haut pour un pauvre campagnard et qu’il devait rester à sa place. Ils se moquaient sans cesse de son absence de magie et de sa vue estropiée. Les brimades s’accentuèrent mais ses harceleurs étaient frustrés car Eldrin ne baissait jamais le regard et gardait la tête haute.

Il proposa à son père de le déshériter pour ne plus ternir le nom de sa famille et compromettre l’avenir de ses sœurs. Mais la famille resta soudée autour de l’héritier en titre et refusèrent aussi de céder.

Les années passèrent et le monde s’écroula. Les évènements tragiques entrainèrent la mort de Galean et sa femme. Eldrin y récolta également une grande cicatrice sur son flanc droit qu’il reçut en protégeant ses sœurs. La fratrie se réfugia sur l’île de Ye Segira, escortés avec les autres rescapés. Il fallait reprendre le cours d’une vie différente, faite d’incertitudes mais rien qui ne perturba Eldrin, bien au contraire.

Comme la grande majorité de la noblesse devait repartir à zéro dans ce nouveau monde, Eldrin y vit l’occasion de redorer le blason des Silveril qui avait été terni par sa faute, lui redonner ses lettres de noblesse à la mémoire de son père.